Semeuse de bonheur
Depuis 35 ans, Johanne Deshênes est aux petits soins avec les personnes qui fréquentent la Maison des Tournesols de Mont-Joli, un organisme que nous soutenons. La directrice fait tout ce qu’elle peut pour alléger le quotidien de ses membres qui ont des problèmes de santé mentale ou qui doivent composer avec une déficience intellectuelle. La crise que l’on vit les affecte grandement. Rencontre avec une femme dédiée aux autres.
Johanne Deschênes a toujours eu le coeur à la bonne place. Au cours de sa jeunesse, elle côtoie de près des personnes avec diverses problématiques de santé mentale ou de déficience puisque ses parents constituent une famille d’accueil.
Faire une différence
À 21 ans, forte de son expérience personnelle, elle joint la Maison des Tournesols à titre de secrétaire. À l’époque, en 1985, une trentaine d’adultes seulement fréquentent la ressource qui est située dans le sous-sol de l’école Saint-Joseph de Mont-Joli. Grâce au soutien de Centraide Bas-Saint-Laurent, premier bailleur de fonds, des activités de loisirs y sont offertes afin de les divertir et de les aider à briser leur isolement.
Avec un budget de 2500$ par année, la ressource n’a pas les coudées franches pour faire tout ce qu’elle souhaite et pour rejoindre un plus vaste bassin de personnes dans la région de la Mitis. Johanne déploie toute son énergie pour obtenir une aide gouvernementale. Un financement de 8000$ leur sera finalement accordé du ministère de la Santé et des Services sociaux, en 1988.
Des besoins criants
Au fil des ans, le bouche à oreilles fait son oeuvre. De plus en plus d’adultes fréquentent la Maison des Tournesols, à tel point qu’un déménagement est envisagé. En 1993, l’organisme emménage dans de nouveaux locaux sur la rue de la Gare à Mont-Joli. Un volet hébergement est aussi ajouté avec huit unités de logement pour les personnes vivant avec un problème de santé mentale.
Depuis 2001, la clientèle est en hausse constante. Aujourd’hui, c’est 400 membres qui fréquentent l’organisme sur une base régulière grâce à un budget de 200 000$ annuellement. Pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou une déficience intellectuelle, la ressource offre bien plus que des activités de loisirs, c’est un milieu de vie chaleureux, humain, qui accueille les participants sans jugement.
Des histoires de vie
Des histoires de vie, Johanne en a tout plein. Elle se souvient d’une dame dans la soixantaine arrivée en crise à la Maison des Tournesols après avoir reçu une lettre dans laquelle on lui annonce qu’elle ne pourra plus compter sur l’aide sociale. C’est qu’elle n’avait pas rempli sa demande pour avoir droit aux rentes du gouvernement. L’intervenante a rempli la demande pour elle. « Le soulagement que j’ai vu dans ses yeux quand je lui ai dit que j’allais l’aider. Elle se voyait dehors, dans la rue. Ça prend un organisme comme le nôtre pour les aider à remplir la paperasse qu’ils ne sont pas en mesure de remplir. On évite ainsi bien des crises. »
Johanne et les autres intervenantes font tout ce qu’elles peuvent pour mettre du soleil dans la vie de leurs membres lorsqu’ils franchissent la porte de l’organisme.
« Pour certains, c’est leur seule sortie. Il y a un des participants qui a une déficience intellectuelle très lourde et qui ne peut aller au restaurant ou au magasin pour socialiser. Quand il vient ici, il nous tape dans la main, on lui apporte sa liqueur, c’est sa seule sa sortie, son loisir de la semaine, son petit bonbon de la semaine. »
Chaque anniversaire est propice à mille et une attentions. « Quand c’est leur anniversaire, on leur remet des coupons qui leur donnent droit à des gâteries à notre cantine. » Et ils y tiennent à ces petites attentions qui font toute la différence dans leur vie.
« Il y a un monsieur de 61 ans qui a un problème de santé mentale et une déficience intellectuelle. Un jour, il est arrivé et il m’a dit que c’était sa fête, mais il n’avait rien reçu parce qu’il n’avait pas de famille. Il avait une famille, mais c’est qu’il n’avait plus de contact avec elle. Je me suis retirée un instant et je lui ai fait une carte maison. Je lui ai imprimé une photo d’un des chiens avec qui on fait de la zoothérapie, Framboise. J’ai mis la photo dans un cadre. Et bien il s’est promené pendant un mois avec son cadeau dans les mains.»
Que ce soit pour un anniversaire, la fête de Noël ou à Pâques, toutes les raisons sont bonnes pour leur offrir du bon temps et des petites douceurs. « À Noël, on fait toujours un petit cadeau à tous nos membres. Il y en a un à qui on a donné un cadeau et qui ne voulait pas le déballer. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit que c’était le seul qu’il allait avoir pour Noël et qu’il voulait le développer le soir de Noël. »
L’impact de la pandémie
Pour les personnes anxieuses ou celles qui ont des problèmes de santé mentale, la pandémie a des répercussions importantes, Johanne en sait quelque chose.
« On a dû fermer nos locaux au début de la pandémie. Pour certains de nos membres, l’anxiété était très forte. On faisait des appels téléphoniques tous les deux jours pour leur parler et les rassurer. Au début, ça allait bien, nos appels duraient de cinq à dix minutes. Plus les jours passaient, là, ce n’était plus pareil. C’est eux qui ne voulaient plus raccrocher, certains appels duraient quarante minutes. Je passais mes journées au téléphone. Je leur donnais même la permission de m’appeler chez moi si ça n’allait pas. Ils m’appelaient, ils avaient juste besoin de parler à quelqu’un. »
Les activités de groupes ont aussi dû être annulées. Cours de cuisine, zoothérapie avec les animaux des intervenants, déjeuners mensuels, journées au chalet, toutes ces activités ne peuvent plus se tenir. Même si la Maison des Tournesols a rouvert ses portes, les activités sont limitées et doivent se dérouler en groupes restreints.
De tels changements ont chamboulé le quotidien de personnes pour qui l’aide reçue est essentielle et Johanne en est bien consciente. « Nous avons certains membres qui souffrent d’anxiété sévère qui ont dû être hospitalisés, alors que ça faisait des années qu’ils n’avaient pas été hospitalisés. Il y a un de nos participants qui avait peur d’aller faire son épicerie. C’est nous qui allions chercher sa nourriture. »
La Maison des Tournesols a su se réinventer pour arriver à calmer l’angoisse de ses membres. À Pâques par exemple, les intervenants ont célébré à leur manière la fête chocolatée. « On est allé leur chercher chacun un beigne et un café. Ça leur a fait tellement plaisir! »
Une réouverture attendue
Lorsque l’organisme a rouvert ses portes en juin, c’est avec bonheur que les usagers ont regagné leurs petites habitudes, en petits groupes de dix personnes à la fois.
« Ç’a été un soulagement incroyable pour tout le monde. Des couples ont recommencé à se voir parce qu’ils avaient été séparés pendant la crise. Certains m’ont dit: enfin, on s’est ennuyé, pourquoi tu as fermé le local, Johanne? D’autres me disaient est-ce que c’est Monsieur Legault qui vous a appelé pour vous dire de rouvrir», lance-t-elle en riant!
Tranquillement, la vie a repris son cours. Les activités de groupes ont dû être modifiées et les participants se sont prêtés au jeu. Bingo, art, café rencontre, jeux de mime, les intervenants ont des idées plein la tête. « Ce sont toutes des petites choses qui font la différence. » Tout se déroule en présentiel, les activités en vidéoconférence ne sont tout simplement pas réalistes. Plusieurs participants n’ont même pas de téléphone, encore moins Internet.
Le soutien de Centraide
Quand on lui demande ce qui arriverait si la Maison des Tournesols n’était pas là, sa réponse est sans équivoque. « Il faut qu’on soit là! Si nous n’étions pas là, il y aurait beaucoup plus de personnes isolées et seules. Nous sommes la référence pour bien des personnes. »
Pour assurer la survie de la ressource d’aide, le soutien de Centraide est essentiel. « Centraide Bas-Saint-Laurent nous donne 25 000$ sur un budget total de 200 000$, c’est énorme. En fait, cet argent défraie le salaire d’un employé et demi, alors que nous ne sommes que quatre employés. Nous ce qu’on a de besoin, c’est de l’argent récurrent, comme l’aide de Centraide. Avec les 100 millions annoncé en santé mentale par le gouvernement, si on nous donne un gros montant et après, plus rien, ça n’assure pas la pérennité de notre organisme. »
L’avenir de la Maison des Tournesols
Quand elle regarde vers l’avant, la directrice voit des parcelles de ciel bleu et se réjouit des activités à venir, telle une semeuse de bonheur. « On recommence les quilles la semaine prochaine en petits groupes. Je suis tellement emballée. Mes gens, ils sont très résilients, ils suivent les règles à la lettre. Ils ont vraiment hâte de recommencer. Ça va faire du bien à tout le monde, ça nous motive. »
À ceux qui vivent de l’anxiété en raison de la pandémie, elle se fait rassurante. « Ils peuvent nous appeler, on va toujours être là pour eux. Ils peuvent venir nous voir aussi à Mont-Joli. » Les appels sont encore nombreux. « Certains ne peuvent toujours pas sortir de leur résidence. Ils s’ennuient, ils sont contents d’entendre notre voix, pour savoir si on ne les a pas oubliés. »
Johanne Deschênes se donne corps et âme à son travail. Elle sait tout le bien qu’elle peut faire chaque jour, avec des gestes simples, bienveillants. La reconnaissance qu’elle voit dans les yeux des personnes qu’elle aide vaut tout l’or du monde. « Une de nos membres a été hospitalisée, elle n’allait pas bien. Elle m’a dit: une chance que je t’ai eue, si vous n’étiez pas là, je ne sais pas si je serais encore en logement. »
Il y a cet autre témoignage qui en dit long sur l’impact qu’un organisme comme la Maison des Tournesols peut avoir dans la vie des gens. « Quelqu’un m’a dit, dans les médias, Monsieur Legault parle des anges gardiens. À Mont-Joli, c’est vous autres les anges gardiens. » Ça dit tout.