Un livre pour réduire les inégalités sociales

De nombreux bénévoles ont mis la main à la pâte pour l’idéation, la création et la publication du livre Du plomb dans les ailes lancé plus tôt cette semaine par notre organisation. Marc De Koninck est l’un des acteurs clés, puisqu’il préside le Comité de développement social de Centraide qui est à l’origine de cet ouvrage sur les inégalités sociales. Pour cet organisateur communautaire, ce document est un outil essentiel pour ouvrir le dialogue afin que nous travaillions tous ensemble à réduire ces inégalités. 

« Une société qui tolère les inégalités sociales, en fin de compte, c’est tout le monde qui en fait les frais, puisque nous sommes tous tributaires les uns des autres. Si nous avions une société plus égalitaire, nous serions tous gagnants. » Selon Marc De Koninck, l’enjeu des inégalités nous concerne tous.

Il est bien au fait de la réalité des personnes vulnérables, il a oeuvré 36 ans comme organisateur communautaire au sein du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Il est aussi membre du CA de Centraide Québec, Chaudière-Appalaches et Bas-Saint-Laurent depuis une dizaine d’années, dont trois à titre de président. Il estime que l’heure est à la réflexion collective.

Du plomb dans les ailes, le livre

Au départ, ce qui ne devait qu’être un avis du Comité de développement social de Centraide s’est transformé en un ouvrage beaucoup plus important.

« Notre comité a commencé à réfléchir sur la question des inégalités en 2015, c’est un travail de longue haleine. Nous avons fait des focus groups pour avoir le pouls des gens. Centraide est un bon laboratoire puisque nous regroupons des gens de partout sur l’échelle des inégalités, que ce soit nos grands donateurs, des PDG d’entreprises, des gens des organismes communautaires ou des personnes vulnérables. Nous avons aussi fait tout un travail de recherche puisque c’est un sujet bien documenté. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de contenu. »

C’est ainsi qu’est né le livre Du plomb dans les ailes, après cinq ans de travail et la collaboration de la maison d’éditions Septentrion.  Il met la table pour aborder six grands thèmes: les inégalités de revenus et de richesses, en éducation, en santé, en emploi, en justice et en environnement.

« Ce sont des thèmes qui sont majeurs puisqu’ils concernent tout le monde. L’enjeu de l’environnement est arrivé plus tard dans le processus mais il nous est apparu quand même comme un incontournable. »

La symbolique de l’oiseau

Le titre du livre, Du plomb dans les ailes, avec cette image d’une oie aux ailes brisées de l’illustratrice Chloé Germain-Thérien, ont été judicieusement choisies.

« Nous avons brainstormer longtemps là-dessus. Au Québec, le vol d’oies est une image très forte, avec ces milliers d’oies qui s’envolent en même temps chaque année. On voulait illustrer que nous faisons tous les frais des inégalités, puisque nous faisons tous partie d’une grande société. Or les inégalités ne cessent d’augmenter. Du plomb dans les ailes, ça reflète notre incapacité à s’envoler tous ensemble. »

L’ouvrage de près de 200 pages fait état de faits troublants, avec des statistiques à l’appui. Au Québec, 812 000 personnes n’ont pas les revenus suffisants pour assurer leurs besoins de base, soit se nourrir, se loger, se vêtir et se déplacer.

C’est sans compter l’écart qui subsiste entre l’espérance de vie, selon le quartier où nous vivons. Dans le secteur de la Haute-Ville de Québec, l’espérance de vie est de 84 ans, alors qu’il est de 76 ans dans la Basse-Ville. Et si nous faisions tous partie de la tranche de la population la plus favorisée, ce sont 6000 décès prématurés qui seraient évités chaque année au Québec.

« Cette vision des inégalités peut être dérangeante. Le livre nous force à réfléchir et à nous questionner sur les inégalités, il nous amène à porter un regard plus critique envers nos façons de faire en santé, en éducation, en emploi. Parmi les documents que nous avons écrits dans le passé, notamment sur la pauvreté et sur les préjugés, c’est celui qui va le plus loin dans l’autocritique de notre société et en ce sens je crois que le livre que nous proposons est courageux. »

La COVID dans tout ça

Le projet du livre sur les inégalités ne s’est pas fait sans heurt. À quelques semaines de la sortie du livre en librairie, prévue initialement en mai, la crise de la COVID-19 s’est invitée au passage. « Avec le début de la pandémie, on s’est dit qu’on ne pouvait pas publier le livre sans même parler de cette crise qui bouleverse nos vies et qui met l’accent sur les inégalités sociales. Nous avons dû ajuster certaines sections et faire une mise en contexte en introduction. »

Pour Marc De Koninck, la crise du coronavirus est un exemple frappant des inégalités. « Personne n’est épargné par la contagion, mais son impact est vécu de façon différente pour les personnes qui sont au bas de l’échelle ou pour celles qui ont perdu leur emploi. Nous ne sommes donc pas tous égaux pour faire face à cette crise. La COVID est une métaphore des inégalités que nous vivons. »

L’éducation, un sujet sensible

Le président du Comité de Développement social de Centraide est bien conscient que le livre que lui et son équipe proposent comporte certains sujets plus sensibles auprès de la population québécoise. L’éducation en fait partie.

« C’est un sujet plus sensible parce que plusieurs lecteurs qui lisent le livre sont des parents. L’éducation est une décision intime, on veut offrir ce qu’il y a de meilleur pour nos enfants. Personne ne veut faire un débat de société sur le dos de ses enfants, on ne veut pas culpabiliser les parents. Mais pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas offrir ce qu’il y a de mieux à tous les enfants. »

Du même souffle, il croit qu’il ne faut pas se mettre la tête dans le sable non plus. « Il faut se poser collectivement des questions sur nos façons de faire. Le système éducatif au Québec, avec ses programmes particuliers au public et au privé, crée des inégalités et les alimente. Est-ce que notre système pourrait bien accompagner les enfants qui sont au bas de l’échelle des inégalités? »

Des pistes de réflexion pour avancer

Marc De Koninck espère que l’ouvrage publié aux éditions Septentrion trouvera preneurs en librairie, malgré la complexité du sujet des inégalités et ses enjeux.

« Ce livre s’adresse à la population en général, à la société civile. Il n’est pas réservé aux chercheurs, on s’adresse à monsieur madame tout le monde. Je suis vraiment content du produit fini et je suis fier que Centraide n’ait pas baissé les bras pour le publier. C’est une contribution extrêmement importante pour notre société. »

Pour lui, il est clair que Centraide Québec, Chaudière-Appalaches et Bas-Saint-Laurent pousse plus loin son rôle de bailleur de fonds. « Centraide est un éveilleur de conscience. Dans notre démarche, on veut que les gens se posent des questions. Pour certains, notre vision peut paraître menaçante, mais on veut d’abord et avant tout que les gens se sentent concernés, qu’ils se remettent en question. » Il souhaite aussi que la publication ait un impact sur les instances gouvernementales.

À ceux qui se demandent quelles sont les solutions envisagées par Centraide pour changer le cours des choses, il répond ceci. « Certains vont peut-être nous reprocher de ne pas proposer beaucoup de solutions concrètes, mais on propose quand même certains principes qui devraient guider nos actions collectives. Le livre n’est pas une fin en soi, c’est une étape vers un dialogue. Ce que nous souhaitons, c’est que les gens de tous les milieux aient le goût de réfléchir avec nous pour trouver des pistes de solutions. »